Hypnose et douleurs chroniques
Dans mon travail depuis quelques années en cancérologie et en algologie, j’ai constaté que la douleur chronique comme le cancer confine, entre autres émotions, à l’horreur. Cette horreur pourrait inciter celui qui en est atteint à la fuir, mais il en est tout autrement; après quelques tentatives plus ou moins infructueuses, ce qui fonde cette horreur semble revenir comme des vagues successives déferlantes, envahissantes, qui plongent celui qui les reçoit dans un état proche de la sidération. Le patient douloureux voudrait se débarrasser de ce fléau qui le mine, le ronge ou le guette. Et tout se passe comme si ce lien ne pouvait se défaire entre les deux, comme dans une fusion aux allures perverses. L’horreur provient de l’impossibilité dans laquelle se trouve le patient de se détacher de ce qui la produit, de ce sentiment d’irréversibilité et de destruction.
Notre travail d’aide psychologique est d’abord un travail d’écoute et d’observation. Il convient d’apprendre au patient que nous avons aperçu sa souffrance en ratifiant les affects qu’il subit ou en relevant l’absence surprenante de ces mêmes affects. Mais bien sûr cela n’est pas suffisant, même s’il s’agit là d’une étape fondamentale car elle conditionne la suite de l’accompagnement thérapeutique. De même, la prise en compte du problème du patient peut l’aider pendant quelques instants à sortir de sa torpeur, de la répétition du vécu douloureux. Quand on voit un enfant pleurer, il m’apparaît plus opérant de l’inciter à pleurer encore pour l’amener ensuite à relativiser sa réaction, plutôt que d’emblée lui demander de cesser de pleurer. Il est évident pour le patient douloureux dont le symptôme » colle » au corps, qu’apercevoir sa souffrance n’est pas la soulager. Et après des réactions de résignation ou de déni, ou même l’agressivité vis-à-vis du soignant ( » vous ne savez pas ce que c’est… En parler ça ne sert à rien… C’est mon corps qui me fait mal, pas la tête!… On fait de la publicité pour le traitement de la douleur, et puis moi on n’arrive pas à soulager la mienne! « . Alors l’illusion d’un moment fait place à la désillusion qui vient amplifier le retour du symptôme, si tant est qu’il ait observé une trêve !
La deuxième étape va ainsi consister à intéresser le patient douloureux pour qu’il puisse, et ce serait alors la troisième étape, confirmer et préciser sa demande vis-à-vis d’une aide psychologique qui ne va pas de soi dans ce type de problème. Intéresser le patient serait le sortir de la torpeur, de la sidération, de la répétition : ce n’est pas un travail facile car il requiert une intuition énorme, et même s’il y a des » ficelles « , il n’y a pas pour autant de recettes. Tout est individualisé et le thérapeute doit s’adapter au patient.
Mon propos va s’attacher à ces façons de créer un déclic, de suggérer une attente chez un patient confronté à l’horreur. Et cela peut, et doit se faire, par le biais d’une transe sans transe d’abord, une transe non annoncée où la suggestion va venir remplacer l’état de sidération en un état de mobilisation grâce à un écart, un écart de langage, un écart d’attitude, qui va venir faire le passeur entre la rive où rien ne bouge, où tout est figé, gris, noir, sans évolution apparente, et la rive où les impressions colorées riment avec la mobilité et la clarté, dans une délimitation rassurante mais aussi évolutive. Et c’est bien l’objet de la transe que de créer un passage.
Ainsi, un patient présentait des céphalées chroniques qui prenaient toute la place dans sa vie, son discours et le conduisaient à des idées de plus en plus envahissantes de suicide. Il avait déjà rencontré divers thérapeutes qui lui avaient apporté que peu de bien-être. Au début, je ne savais pas comment prendre le problème et j’avais en outre un doute sur une alcoolisation. Le déclic a eu lieu le jour où je me suis autorisé à parler avec lui de cette dépendance. Le passage s’est situé là. Ensuite, le travail hypnotique s’est largement amélioré notamment grâce à la technique du « pain getting better book » ( 1), utilisée plutôt avec les enfants. Puis je demandais au patient de m’apporter son cahier avec l’image métaphorique spontanée de sa douleur dessinée dessus, à chaque séance. Il s’est exécuté avec enthousiasme, mettant de côté par la même occasion toute pensée suicidaire, tout rejet médical, toute absorption d’alcool exagérée et une bonne partie de sa douleur.
Bien souvent, les patients débordés par leurs affects dépressifs ou sidérés par le traumatisme du symptôme, ne se souviennent plus de leurs capacités naturelles à résoudre leur problème. Tout se passe comme si ce » système d’auto-guérison » avait été mis en défaut, hors d’usage, dans une atteinte qui toucherait à l’essentiel, à l’intime de l’être. Leur capacité d’imagination, elle aussi, est mise à mal, voire éteinte. Et cela empêche le bon déroulement du travail avec ce type de patients car l’hypnose a besoin de la mémoire et de l’imagination pour être opérante, parce que pour aller jusqu’aux archives de la mémoire il faut ne pas se contenter des faits mais y rajouter des valeurs : les archives peuvent avoir un classement chronologique comme un classement thématique, et on n’y trouve pas obligatoirement les mêmes détails.
Dans l’hypnose conversationnelle, un intérêt marqué pour les ratifications et les truismes permettra d’être en empathie avec le patient, afin de l’amener tout doucement ou brutalement à une prise de conscience différente de son problème, en éveillant sa curiosité ce qui n’est pas aisé car distraire un douloureux chronique de son symptôme relève d’un défi condamné à l’échec ou au moins à la non-permarience ; Et pourtant, il sait le faire lui-même ; pour preuves ces grands-parents attentionnés au jeu des petits-enfants, cette maman qui écoute son bébé dormir dans la pièce d’à côté, ce bricoleur » scotché » à son ouvrage, ce cruciverbiste cherchant quelque définition…
L’hypnose formelle peut s’inspirer de ces capacités de distraction des patients, mais aussi utiliser les techniques de superposition ou de substitution sensorielle afin que le patient se montre à lui-même que sa créativité mentale permet une solution de remplacement, même transitoire, à son problème, lui ôtant par là même son caractère immanent. Et c’est là que l’amovibilité de l’hypnose vient mettre à mal le pessimisme forcené et ouvre des perspectives là où l’espoir était sans cesse déçu. Elle ouvre les portes du possible ; possible de mettre la sensation douloureuse de côté quelques instants, de la transformer, voire de rivaliser avec le bonheur des autres. Elle est aussi le trompe-l’œil qui peut être induit par une prescription comportementale et contextuelle qui consisterait à faire croire à quelqu’un de l’entourage que cette sensation pénible est présente alors qu’elle ne l’est pas par exemple (d’habitude les patients savent mieux faire le contraire) : c’est la moustache qui travestit la réalité en en créant une autre. Le travail métaphorique, lui aussi, donne un caractère amovible au symptôme dans ce qu’il suscite comme substitution ou comme transposition. Pour être opérant, il doit être suffisamment pertinent et suffisamment fin pour déplacer le symptôme d’où il est sans crier gare pour l’envoyer là où c’est suggéré qu’il aille, et comme si rien ne s’était passé, le faire revenir ou le laisser revenir là où il était initialement sans savoir pour autant que quelque chose va peut-être bouger plus tard, spontanément ou à l’occasion d’un événement suggéré ou choisi par le patient lui-même.
Pour preuve, ce cas clinique d’une patiente âgée de 63 ans présentant des douleurs qui seraient consécutives à une compression accidentelle, per-opératoire, du nerf grand sciatique.
Ces douleurs étaient décrites comme insupportables, insomniantes, non calmées par les médicaments prescrits dans ce type de douleurs neurogènes, à type de décharges électriques. Grâce à notre travail durant les séances d’hypnose, elle a réussi à visualiser son nerf lésé et à le faire » grandir » car elle avait l’image d’un nerf raccourci et desséché. Il lui est venu l’idée de lui mettre de l’eau pour qu’il reprenne forme peu à peu. Et ainsi, en cours de séance, elle pouvait remobiliser progressivement son pied droit sans qu’aucune sensation douloureuse n’apparaisse. Dès lors qu’elle serait en contact avec l’eau (en Bretagne, on trouve beaucoup d’occasions !), il était convenu dans la suggestion post-hypnotique que son nerf s’en » abreuverait » afin de retrouver sa forme, son énergie, un fonctionnement plus convenable.
L’amovibilité, c’est aussi établir une relation différente avec son entourage, là ou celle préexistante était facteur de souffrance et tout en même temps d’une stabilité réputée intouchable, à l’image de la résistance au changement. La (ou les) solution(s) est (sont) souvent envisagée(s) comme plus terrifiante(s) que ce qui fait déjà souffrir pour l’instant. Et permettre d’envisager des changements relationnels en les dénudant ou en les dégonflant déjà simplement de leur connotation émotionnelle par le travail des métaphores ou des prescriptions, augure au patient l’initiative de réaliser ce qu’il désire vraiment, lui.
J’illustrerai mes propos par cette réussite fulgurante quant à la douleur de cette jeune femme, au bord de la dépression, suite à une lombalgie chronique invalidante, résistante aux traitements classiques. Je l’ai vue une première fois seule, très réticente, recroquevillée sur elle-même ; et, devant son attitude, j’étais tellement démuni que j’ai demandé qu’elle revienne avec son époux (a posteriori, elle me l’avait certainement suggéré lors de la première entrevue). Là, elle s’est trouvée transformée ; le mari avait une attitude tellement rejetante vis à-vis de sa maladie, vis-à-vis du corps médical, vis-à-vis de moi, que des suggestions directes et non verbales de ne pas délaisser son épouse (invitation en cours de séance de s’occuper de son épouse, de la toucher, de parler de ce qu’il vivait, lui, quand son épouse se plaignait de son dos, comment il pouvait répondre ou ne pas répondre à cette plainte) ont permis d’améliorer la situation du couple et dans un second temps de faire quasiment disparaître les douleurs de cette jeune femme dans les deux mois qui ont suivi cette entrevue du couple. Mais au départ il a fallu inciter cet homme à venir en imposant à cette jeune femme qu’elle vienne avec lui sans quoi il aurait fallu rencontrer un autre thérapeute. Ca a été le passage… en force, c’est vrai … mais c’est parfois nécessaire. Le mari m’en a tenu rigueur, mais la patiente a été soulagée, alors…
Et l’on en revient encore au passage, à la transition, au saut même entre le psychisme et le somatique. Un des moyens de mobiliser ce qui est figé dans le symptôme comme la douleur chronique est bien l’hypnose en ce qu’elle permet d’imaginer mais aussi de vivre ce qui va être différent. Toute la difficulté est de ne pas céder au scepticisme du patient, et de l’inviter à nous montrer, mais surtout à lui, ce qu’il sait ou saura faire en donnant une valeur autre à ce qui lui arrive, ce qui revient à dire en trouvant une solution de remplacement, en déplaçant le symptôme grâce à l’amovibilité de l’hypnose, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus besoin de remplacer quoi que ce soit.
(1) » pain getting better book signifie le livre de la douleur qui s’améliore. Il a été crée par ERICKSON comme outil métaphorique pour aider les enfants à travailler avec leur douleur.
Le but est de mettre en évidence des sensations douloureuses objectivées et dans le même temps d’y associer l’accès à des ressources internes par le biais d’un support artistique.
L’aspect visuel et kinesthésique du dessin vise à apporter un meilleur confort via la dissociation qui intervient naturellement lors de l’acte de dessiner. Cette technique a pour objet de contrôler, diluer ou dissocier la douleur.
Le livre ou le cahier se compose de séries de dessins, à chaque séance, effectués selon trois étapes successives :
o à quoi ressemble la douleur maintenant ?
o à quoi ressemblerait-elle si ça allait beaucoup mieux ?
o qu’est-ce qui permettrait de changer le premier dessin en le deuxième ?
Ces dessins ont pour buts :
· d’aider l’enfant à dissocier la douleur en la transformant en une image sur le papier et de déconnecter du sentiment de douleur
· d’apprendre à l’enfant à mobiliser ses capacités de transformation de quelque chose d’inconnu (la douleur) en quelque chose de connu (l’image sur le dessin). Ainsi, il aura un meilleur contrôle de la situation
· d’aider l’enfant à passer d’une mauvaise tonalité sensorielle à une bonne, ce qui permet d’activer d’autres zones cérébrales que celles qui sont centrées sur le sentiment d’être malade
· d’inciter l’enfant à penser qu’aller mieux existe. Quand l’enfant commence à dessiner la douleur quand elle va mieux c’est qu’il a intégré que c’est une réalité potentielle. Et le troisième dessin constitue un pont métaphorique entre l’inconfort et le confort, utilisant la propre » médecine » inconsciente de l’enfant.
De plus, ce cahier que le patient apporte à chaque séance représente un lien thérapeutique formidable pour peu que le patient se prête au » jeu « . Il me semble aussi qu’il s’agit là d’une excellente illustration d’amovibilité.
Patrick SINQUIN
Clinique de la Sagesse
Rennes