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Douleurs chroniques et fascinations

Douleurs chroniques, fascination morbide, contre-fascination thérapeutique et attention vertueuse.

Douleurs chroniques
Article ∙ Douleur

Résumé : L’utilisation de l’hypnose médicale en consultation de douleur chronique est un outil thérapeutique, un outil de communication et surtout un outil de changement des bases qui définissent une relation thérapeutique. Cet outil nous permet de sortir du champ exclusivement pathologique pour entrer rapidement dans le champ des ressources et des apprentissages. Il nous permet de rompre avec la fascination morbide que la personne douloureuse chronique ne manque pas de vivre et de partager. Il s’agit de permettre de transformer l’auto-hypnose douloureuse négative en une auto-hypnose vertueuse réparatrice. Trois cas cliniques illustreront cette communication.

Introduction

La fascination est un ressort fort peu exploité dans la relation thérapeutique. Pourtant elle représente un des fondements de toute communication, participe à la construction de soi. Parfois elle exerce un pouvoir constructif, les guérisons par apposition des mains, le procès en béatification de jean-paul II, le jeune homme de 14 ans, népalais, réincarnation supposée de bouddha,sous un figuier aujourd’hui qui attire des milliers de pèlerins, le pouvoir du médecin tout puissant illustré par Charcot face à la crise hystérique de Blanche Wittman, le pouvoir actuel des médicaments. Parfois elle exerce une forte action mobilisatrice, la publicité, le vendeur de voiture ou d’encyclopédie. Parfois elle exerce un pouvoir destructeur, le serpent qui attrape Moogli, les pervers escrocs, les harcelleurs professionnels.
Nous découvrirons combien la souffrance chronique est fascinante combien elle est inhibitrice et délétère, réductrice des capacités et des limites de soi. Nous expliciterons comment l’exploiter pour la rendre mobilisatrice et constructive grâce à l’apprentissage et à la pratique de l’hypnose.

Présentation de cas

Une jeune femme de 28ans, coiffeuse de son métier, souffre d’ une lombalgie séquellaire d’une chute sur le lieu de son travail, l’apprentissage d’une hypnose longue a permis une expérimentation sur la distorsion du temps interne, son ralentissement jusqu’à l’arrêt et son accélération jusqu’à la synchronisation avec l’instant présent. Comme à la manière décrite dans le conte de la belle au bois dormant, il s’agissait de vivre un temps suffisamment long pour réparer l’injure faite à la mauvaise fée et autoriser la reprise du cours de la vie, de rompre la fascination interne exercée par l’injure et la blessure.
Une jeune femme de 25 ans souffre de douleurs cervicales et d’une dépression sévère avec interprétations délirantes persécutives des évènements extérieurs et des sensations internes faisant suite à un AVP en moto un an auparavant. Elle nous permettra de comprendre comment le refus affirmé d’entrer dans la fascination morbide, exercées par les troubles psychiatriques, autorisera l’ouverture d’un espace improbable de réparation interne lors d’une régression en âge profonde.
Une femme de 38 ans mère de deux enfants de 14 et 4 ans, qui souffre affreusement de sa jambe gauche depuis le survenu d’une phlébite au décours du premier accouchement, nous permettra de mettre en évidence l’effet bénéfique de l’hypnose et de la thérapie familiale pour rompre la répétition catastrophique quotidienne des affects douloureux luttant contre la séparation psychique impossible de la mère et de son fils, de rompre la fascination morbide mutuelle et répétitive.

Hypnose et douleur

La douleur et l’attention produisent au scan-pet quasiment la même cartographie :
En travaillant sur le sujet, Luis Garcia Larréa a mis à jour de fortes ressemblances entre les mécanismes de la douleur et de l’attention. « Si on soumet un sujet à des stimulations laser douloureuses ou à un effort de concentration important, par exemple en lui demandant de réaliser un exercice de calcul mental, on obtient des réponses corticales presque identiques. Si l’on parvenait à définir clairement les rapports entre douleur et attention, on pourrait par exemple évaluer l’efficacité de techniques comme l’hypnose, qui sont capables de susciter une analgésie».
Marie-Elisabeth Faymonville l’a clairement étayer. L’hypnose médicale est un outil pertinent dans le traitement de la douleur aigue (Faymonville ME, Maquet ; Neuronal mechanisms of antinociceptive effects of hypnosis; Anesthesiology, 2000 May; 92(5); 1257-67) et dans le traitement de la douleur chronique.
Pierre Rainville (Hypnosis phenomenology and the neurobiologie of consciousness ; Int J Clin Exp Hypn. 2003 Apr ; 51(2): 105-29) démontre comment l’hypnose par ce qu’elle est sur un plan neurophysiologique déclenche une attention interne relaxante et dissociante, une libération des réactions viscero-motrices réprimées à l’état de conscience ordinaire, une distorsion des perception temporo-spatiales et une impression d’automaticité des réactions, une dissociations des informations sensoriels du sentiment d’être soi avec impression d’automaticité des pensées et des réactions. Il décrit nettement la levée du traitement émotionnel du signal douloureux par l’hypnose, en montrant par imagerie fonctionnelle comment le girus cingulaire antérieur traite la part émotionnelle de la douleur jusqu’à un certain seuil d’intensité et comment les cortex somatosensoriels S1 et S2 en traitent les composantes d’intensité et de localisation.
La conscience peut être décrite comme un épissage puissant du flux des informations reçues et ceci en fonction, essentiellement, du contexte dans lequel nous sommes baignés. La hiérarchisation contextuelle du traitement des informations est une optimisation des moyens cérébraux disponibles mais au prix d’une sélection scotomisante. Nous portons en permanence de larges oeillères. Des fonctions neurologiques entières sont inhibées au profit d’autres en fonction du contexte vécu ou ressenti. Lorsqu’on regarde, dans l’avion par exemple, des images sur un petit écran. Elles sont comme effacées si dans notre casque un autre canal est diffusé. Elles sont comme agrandies et magnifiées si dans notre casque nous entendons la bande sont correspondante. Il a été établi par exemple que le nourrisson entend ce qu’il voit plus qu’il ne voit ce qu’il entend dans des expériences visant à évaluer le caractère transmodale de ses perceptions (D. Stern).
L’hypnose rompt ce processus. Elle agit au travers et par les mécanismes de la conscience. Il s’agit d’un état psychique propice à la transformation des mécanismes de la construction de la conscience de soi.

Construction de soi et fascination relationnelle

Construction de soiD. Stern dans « Le monde interpersonnel du nourrisson » (puf; 1989;isbn 2 13 042057) nous a fait découvrir, au travers l’étude étologique des nourrissons, la mise en place, l’organisation et le remaniement de soi tout au long de notre vie selon quatre domaines fondamentaux :
-Domaine d’un soi émergent où la perception est a-modale ou transe-modale. C’est à dire ne dépendant pas d’un axe sensoriel défini ; où la perception physio-gnomonique (sens émotionnel qui se dégage du visage) est fondamentale ; où les affects de vitalité ( à comparer aux affects catégoriels comme la tristesse ou la peur ou la douleur ; exemple des affects provoqués par les mouvements de la marionnette) sont primordiaux ; où s’établit la mise en relation des expériences sociales par les phénomènes d’assimilation, d’accommodation, d’association et d’identification des invariants; où le nourrisson fait l’expérience de l’organisation et de l’ordre qui émergent d’un état indéfini mais pas indifférencié.

  • Domaine d’un soi noyau avec l’expérience de la cohérence de soi grâce à l’intégration des unités de lieu, de la cohérence des mouvements, de la cohérence des structures temporelles, de la cohérence des forme ; avec l’expérience de l’affectivité de soi et l’expérience de la permanence de soi;
  • Domaine de formation du sens d’un soi subjectif ; entre le 7ème et le 9ème mois le nourrisson découvre qu’il a un esprit et l’autre aussi; il en découvre progressivement le contenu et la capacité de le partager ; partage du centre d’attention; partage des intentions; partage des états affectifs; importance de l’accordage affectif dans les échanges : intensité absolue, profil d’intensité, pulsation temporelle, rythme, durée et forme (tjs selon des modalités de perception a- modale); l’accordage est un processus non-conscient;
  • Domaine de formation d’un soi verbal, au cours de la deuxième année de vie ; avec la poussée de nouvelles compétences tant linguistiques que mnésiques et motrices(mémoire à long terme, étape du miroir…); avec la découverte de la traduction sémantique et de l’immensité infinie du partage symbolique; avec la perte d’un sentiment d’un moi unifié, harmonieux et l’expérimentation d’un soi morcelé, mystérieux. Le nourrisson est conscient qu’il y a des couches d’expériences de soi qui se détachent des expériences officiellement ratifiées par le langage (crise de la compréhension de soi, vers deux ans) ; avec l’apparition de la spécification catégorielle des modalités sensorielles des perceptions (jusqu’alors la connaissance interpersonnelle du nourrisson était par essence non partageable, a-modale, spécifique à chaque situation et accordée)

D. Stern décrit comment par ses prédispositions innées et l’intégration de ses expériences précoces chaque individu se construit à partir de l’environnement dans lequel il évolue. Il se construit en domaines distincts soi émergent, noyau, intersubjectif et verbal qui tout au long de la vie resteront distincts et accessibles restant sous l’influence des domaines qui le précèdent dans la complexité.
« Chaque domaine nécessite le précédent en tant que précurseur. Une fois formés les domaines restent pour toujours comme des façons distincts de faire l’expérience de la vie sociale de l’adulte ».
Ainsi en est-il des expériences de régressions profondes qui se vivant dans le domaine du soi émergent , “c’est comme un blanc”, n’en restent pas moins accessibles et interprétables dans le domaine du soi noyau, “la sensation physique qui se manifeste”, intersubjectif, “l’émotion que ça vous fait” et verbal, “quels mots peuvent décrire cette expérience”.
Ainsi en est-il des expériences traumatiques qui en étant brutales et inconnues restent parfois comme enkystées dans un domaine d’un soi juste émergeant tant qu’une intégration plus complexe ne peut se faire.
« un événement qui survient tôt aura plus d’impact et son influence sera plus difficile à contrer qu’un événement qui survient plus tard mais chaque domaine de l’expérience de soi reste opérant tout au long de la vie ».

Organisation neurologique du soi et résonance relationelle

La fascination est un moteur d’apprentissage puissant et constant au décours de la mise en place de ces domains du soi. Fascination jubilatoire pour ce qui est nouveau, pour ce qui dégage de la cohérence, de ce qui se partage ou pour se qui traduit en mots.
Les recherches récentes en imagerie cérébrale éclairent l’organisation neurologique du soi.
Il n’y a pas de centre du soi mais un système d’échanges d’informations internes et externes qui construit le sentiment de permanence de soi.
L’insula antérieure s’active lorsqu’on voit des images de son propre visage ou lorsqu’on se remémore des souvenir personnels.
Le cortex préfrontal médian est plus actif au repos qu ‘au cours de nombreux types d’activité de réflexion( D.Gusnard). Il contribue à assembler les informations, à relier les perceptions et les souvenirs concourant à produire un sens du soi et à créer un sentiment unitaire de ce que nous sommes( T.Heatherton).


Il existe un réseau réflectif précoce et conscient, lent et volatile qui s’active lorsqu’ on présente à des sujets des informations nouvelles qui ne se rapporte pas à ce qu’ils sont (ex des termes de théâtre présenté à des footballeurs). Un réseau réflexif, implicite, rapide et puissant mais plus long à se constituer, répondant en ne codant pas des souvenir mais des intuitions, sollicitant des régions qui produisent des réponses émotionnelles rapides fondées sur des associations statistiques d’un très grand nombres d’expériences accumulées et non pas sur le raisonnement explicite et qui complète le premier système dans la construction du sentiment d’être soi (ex des termes comme athlétique fort rapide proposés aux même footballeurs).( Matthew Lieberman )
Jean Decety (The functional architecture of human empathy ; Behavioral and Cognitive Neuroscience Reviews: vol 3, pp 71-100, 2004) décrit les mécanismes de la résonance motrice et de la résonance affective.
La résonance est définie comme la capacité automatique inconsciente de refléter autrui ; les neurones miroirs en font partie ainsi que l’apprentissage par observation.
L’agentivité est le fait d’être conscient que nos actes, nos pensées, nos désirs, sont sous notre contrôle.


Jacqueline Nadel (Emotional development, oxford University Press, 2004) décompose les mécanismes d’imitations, agentivité, d’empathie et intégration neurologique des expériences observées. Elle démontre qu’agentivité, résonance et empathie sont trois facteurs qui régulent et construisent les liens sociaux. Ils démontrent que l’inhibition de l’action interne (cortex orbitaire) ou externe (interdits sociaux, convenances et retenues collectives) assure l’indépendance et l’autonomie de chaque acteur social.


Mesulam décortique le rôle du cortex pariétal posterieur dans l’attribution causale des perceptions motrice, sensitive ou sensorielles. (le syndrome d’influence des personnes dont le cpp est lésé). Spence avec l’étude du syndrome d’influence de certains schizophrènes renforce la connaissance de l’activation du cortex pariétal posterieur. S.J.blackmore démontre le rôle du cortex pariétal posterieur dans l’attribution causale d’une action perçue ( ex de la poulie du bras droit et de la lévitation sous hypnose).
Cette fonction se met en place très progressivement jusqu’à la fin de l’adolescence où la discrimination de soi est de plus en plus affirmée(Nadel, Lieberman). Montrer des images d’Harry Potter stimule les mêmes aires cérébrales chez l’enfant ou l’adulte sauf le précunéus qui ne s’active nettement que vers quinze ans. Cette aire atteint sa maturité cytoarchitectorale tardivement. Le précunéus est impliqué dans le rappel des souvenir autobiographiques.
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Girus cingulairre post et discrimination de soi ; Circuit visuel primaire et imitation ; Impact neurologique de la douleur observée ; de plus en plus d’études le confirment l’état neurologique des uns est profondément sous l’influence des états neurologiques des autres.
Une étude de neuro-imagerie fonctionnelle a été menée pour identifier les structures corticales engagées lorsqu’un sujet imite les actions réalisées par un expérimentateur ou lorsque ses propres actions sont imitées par l’expérimentateur, comparées à une condition de production d’actions sans imitation . L’objectif principal était de rechercher comment le cerveau distingue une même action selon que sa source (l’intention) est endogène ou exogène. Comme attendu, en plus des régions impliquées dans le contrôle moteur, un réseau d’activations commun au sein du cortex pariétal et du lobe frontal (les régions préfrontales dorso-médianes) a été détecté entre ces deux conditions. Ainsi ce réseau d’activations partagées est cohérent avec l’hypothèse d’un codage commun entre les actions du soi et celles d’autrui. Le fait que la production d’une action, son imagination et son observation impliquent des mécanismes neurologiques communs suggère une équivalence entre les représentations propres au sujet et les représentations nées de l’interaction avec d’autres individus (Jean Decety). Cette résonance chez l’observateur ne produit pas nécessairement un mouvement ou une action mais pourrait servir à d’autres fonctions comme activer, à un niveau infra-conscient, l’expérience subjective (avec sa valence affective et émotionnelle) qui serait associée à la génération de l’action perçue et percevoir les actions réalisées par autrui impliquerait un processus de simulation qui permettrait d’en extraire les intentions et de nourrir le sentiment d’empathie.
La fascination est un des premiers moteurs de la relation inconsciente et automatique au monde qui nous entoure et nous façonne.
Le principe de résonance émotionnelle et motrice où chaque rencontre, chaque échange, chaque observation nous marquent inconsciemment nous apprend que notre cerveau est comme un miroir sensible et vivant, qui imprime ce qu’il perçoit.
Un glissement s’opère de la résonance habituelle à la fascination lorsque le contexte ou quelque chose dans la qualité ou l’intensité des informations perçues ne permet pas aux fonctions discriminative de soi de se mettre en route.
La souffrance provoque ce phénomène. L’hypnose en est l’exploitation constructive, nous replaçant en condition d’apprentissage et de construction de soi.

Fascination morbide

La communication construite dans les premiers instants d’une relation thérapeutique est déterminante dans la définition et la valeur de cette relation.
Il est habituel de se sentir fasciner par le récit catastrophique. Les catastrophes nous fascinent. Tout est potentiellement remis en question. Nous redevenons totalement tributaires des évènements extérieurs. Nous nous oublions, nous nous y redéfinissons. Les limites de soi se dissolvent pour un temps plus ou moins long.
Dans la rencontre avec une personne chroniquement installées dans la douleur, tout nous amène à être, plus qu’en résonance, fasciné, fasciné par la morbidité:
-le langage non verbal ;
-l’intensité de la détresse transmise ;
-la douleur active ;
-la longue litanie des échecs passés;
-le double lien iatrogène : « vous vous réussirez là où tous ont échoués, vous êtes mon guérisseur tout puissant. Vous m’otez donc tout espoir d’y parvenir par moi-même, d’être capable de vivre par moi-même, vous devez donc échouer et m’enfermer plus encore dans mon impuissance à trouver des solutions… »;
Nous repérerons facilement le moment où les bras nous tombent, où le découragement nous envahit, où nous entrons à notre tours en état d’hypnose négatif, en état de fascination morbide, plus rien semble fonctionner nos pensés sont figées, notre cerceau engourdi, notre corps lourd, le temps suspendu à rien dans le vide.
L’état douloureux chronique est un état particulièrement stable et contagieux, rien n’y bouge et tout s’y perd, une sorte de trou noir interne qui absorbe même le temps, toutes les explorations positives ou négatives sont condamnées à ne rien produire.
En réponse à cette situation , nous devons rapidement, il s’agit de quelques secondes, mettre en place les condition d’une contre-fascination, l’hypnose constructive.
La pratique de l’hypnose médicale nous apprend à surprendre, à étonner, à jouer sur les formes inconscientes et non-verbales de la communication, à ouvrir des champs d’expériences aux effets inattendus et surprenants, à proposer un contexte imprévu, à ouvrir des champs perceptifs inusités, à offrir un double lien thérapeutique.

Fascination vertueuse

Il s’agit d’y être préparé, entraîné et particulièrement attentif lorsqu’on se place en position d’acteur médical.
M.Erickson dés 1936 cherchait à sensibiliser les médecins sur l’intérêt de l’apprentissage de l’hypnose, afin d’apprendre et d’utiliser la plasticité cérébrale et psychique dans l’acte de soin. La pratique de l’hypnose permet de construire une relation comme un acte thérapeutique à part entière. (Cf Pierre Rainville et les effets neurologiques de l’hypnose)
Le numinosum de Rudolph Otto(1923/1950) repris par E.L. Rossi (Cinq Essais de Génomique Psychosociale, 2005 ; Transe-lations. Encinitas, US), résumait le principe des guérisons miraculeuses mystiques par les trois points suivant ; la fascination ; le mystère ; l’effroi sacré. Avec Rossi nous parlerons aussi aujourd’hui d’épissage des gènes immédiat précoces, de mobilisation de cellules souches et de réactivation d’apprentissages pertinents, en exploitant les phases ultradiennes de récupération.
Avec Francine Shapiro (Des Yeux pour Guerir ; Edition du Seuil, avril 2005) nous parlerons de réengrammage des boucles émotionnelles négatives.
Eric Kandel par son prix Nobel de médecine en 2000, à révéler à tous, les capacités plastiques et réparatrices du cerveau soumis à trois grandes catégories de sources de stimulation : l’exercice, la nouveauté et l’enrichissement.
La surprise, la nouveauté et l’exercice sont précisément les effets de l’apprentissage de l’auto- hypnose.
Le cerveau du douloureux chronique devrait être apte à retrouver des circuits neurologiques souples et ouverts.
Le travail de Moseley GL. (Is successful rehabilitation of CRPS due to sustained attention to the affect limb ; Pain, 2005 Mar ; 114(1-2) : 54-61) nous éclaire sur les capacitées du cortex cérébral à se reprogrammer. En étudiant par neuro-imagerie les douleurs de membres fantômes, il a mis en évidence les modifications du cortex somato-sensoriel provoquées par des exercices sous illusion optique donnant l’impression de mobiliser le membre amputé en mobilisant le membre sain. Il a réalisé une étude comparable avec des douleurs chroniques entrant dans le cadre des syndromes douloureux régionales complexes de type 1.

Le travail avec les toxicomanies nous révèle aussi l’importance existentielle des expériences extrêmes, aux limites de soi, aux effets constructifs ou destructeurs selon les capacités réceptrices de l’intéressé, comme nous le décrit Jacques Mabit :
«La plongée dans les profondeurs du « monde-autre » place le sujet face à des énergies psychiques considérables. Derrière les phénomènes, le sujet découvre le « numen », le monde des Formes qui régit archétypiquement ce monde-ci. Dans l’ordre visionnaire, ces « Formes » peuvent par exemple prendre les allures de monstres ou de saints, d’horribles bêtes ou d’animaux protecteurs, d’entités supranaturelles amies ou menaçantes, générant des émotions de très haute intensité.
Celles-ci emprisonnent le sujet dans l’ambivalence de la terreur et de la fascination et au retour rendent la réalité ordinaire fade, triste, étroite, oppressante.
La fascination équivalant à une forme de sidération psychique et finalement d’aliénation, ce vécu s’assimile alors à une manière d’état de possession. Le sujet est dépossédé de lui-même au bénéfice de forces psychiques non humanisées qui surgissent de son inconscient profond et exercent désormais une emprise sur son moi limité. Le prototype du toxicomane est un sujet immature qui prétend « sentir » plutôt que « voir ». Il s.agit d.un enfouissement dans le monde de la sensation mais sans prise de conscience : tout se passe à un niveau sub-cortical. Dans la quête d’éveil, les « yeux ouverts », il s’agit au contraire de découvrir et connaître le monde des Formes, de désirer être conscient de soi-même et de sa localisation, son destin, au sein de l’univers. Comme le signalent justement les guérisseurs : « voir est savoir et pouvoir ».
Ainsi, aucune substance à effets visionnaires n’est addictive et ne créé d’assuétude quand elle est prise dans un contexte adéquat. Les sociétés traditionnelles ont su choisir à la fois leurs substances ou techniques pour induire des explorations du monde invisible, de telle façon que la toxicomanie y est une pathologie quasiment inconnue.» (Toxicomanie et chamanisme amazonien. Souffrance psychique, états modifiés de conscience et quête de sens Jacques MABIT)
Bien des éléments évoqués ci-dessus semblent s’appliqués à la douleur chronique. La grille de lecture que nous offre Daniel Stern y est facilement applicable. Garder l’expérience dans domaine juste emergent ou d’un soi noyau ne permet pas une assimilation constructive et invite à la répétition de la plainte. L’hypnose nous donne les moyens de “voir” et “savoir”, d’intégrer l’expérience douloureuse dans toutes ses dimensions et de s’en éloigner pour se reconstruire.
L’expérience de l’apprentissage de l’auto-hypnose offre la possibilité de déconstruire une fascination morbide exercée par tout ce qui ne va pas et de proposer une attention vertueuse portée sur tout ce qu’on ne pouvait plus ni voir ni ressentir. Ce déplacement de l’expérience vécue induit des modifications neurologiques mesurables et observables.
Reprenons les situations cliniques pour illustrer cette démonstration.

Conclusions cliniques

Dans la première situation, la patiente se présente comme une statue de cire, figée là où on la pose, en l’occurrence la salle d’attente, le regard presque vide elle se lève lentement est se pose doucement sur la table d’examen. Je l’invite effectivement à s’y installer pour un temps indéfini peut-être long ou pas long, juste le temps pour elle de se sentir comme s’éteindre comme si son sang s’arrêtait comme si son ventre s’arrêtait comme si son cœur s’arrêtait comme si la respiration s’arrêtait…(technique de confusion, de ratification des sensations vécues et de focalisation de l’attention sur les sensations ressenties) puis de construire malgré tout un lieu sûr peut-être réel ou imaginaire ou même rien pour l’instant …(choix large pour neutraliser la résistance) un lieu sûr qu’elle pourrait construire avec six compartiments dans le premier tout les actes qui lui ont apportés du plaisir mais dont elle a honte… dans le deuxième les actes dont elle est fière… dans le troisième l’espace intérieur où apparaissent les rêves et les cauchemars…le quatrième son cimetière intérieur… le cinquième les personne proches intellectuellement ou affectivement vivantes capables de vraiment la comprendre et l’aider et la conseiller … le sixième une source toujours fraîche et disponible, la source de l’amour intérieur…(suggestion riche d’activation des ressources internes)…puis… je sort de la pièce l’informant que quand elle me réentendra entrer son corps son inconscient d’une manière ou d’une autre m’informera du temps qu’il lui sera nécessaire pour réussir ce changement qui lui est nécessaire …( prescription de changement automatiques, d’activation des ressources viscéro-motrices habituellement inhibées )…deux heures plus tard je la retrouve dans la même position. Je lui explique que manifestement elle est en plein travail interne de réorganisation et que ce travail est sérieux et actif comme lors d’un examen où seul face à sa copie on ressort tout ce qu’on a mis tant de temps à apprendre (recadrage-transformation du symptôme quasi catatonique en un riche travail interne) je lui laisse encore deux heures et son corps m’informera de l’avancée des travaux internes inconscients… je reviens une heure après (distorsion du temps) et je la retrouve assise sur une chaise feuilletant activement son agenda . la séance est levée avec des prescription post- hypnotique de renforcement de ce travail inconscient surprenant et qui respecte ses besoins les plus profonds et qui en générale se déroule normalement chaque nuit pour effacer les stress de la journée passée et pour archiver avec efficacité les apprentissages acquis et intéressant pour l’équilibre de sa vie.
Il n’y aura pas besoin d’autres séances. Elle réussira à mettre en place tout ce qui lui était nécessaire pour reconquérir son indépendance, son autonomie, sa fierté et les réparations socio-affectives dont elle avait droit ; elle a repris la maîtrise du cours de sa vie.


Dans la deuxième situation après cinq séances infructueuse portées sur des recadrages actifs, sur des prescriptions de conduites paradoxales et sur un accompagnement bienveillant, je lui propose, comme de guerre-lasse, une séance d’hypnose dite classique ; avec induction d’une lévitation d’une main, ratification de l’état de transe, renforcement de l’état de transe par la recherche active des images et des émotions liées à l’accident, sécurisé par la construction d’un lieu sûr et la certitude que l’expérience restera dans le secret de son intimité la plus profonde, exploitable seulement si tous ses mécanismes de protection l’autorisent au moment où, consciemment et inconsciemment, elle se sentira, par tout ses sens, apte à l’utiliser ; vécu inattendu et secret d’une scène traumatique passée ; activation des ressources présentes pour faire face à cette situation ; vérification de la mise en place des réponses efficaces ; vérification des effets numineux, des ressources activées ; renforcement post-hypnotique du travail psychique et corporel accompli ; quinze jours plus tard, elle nous annonçait sa guérison et son projet de reprendre ses études et de changer de vie ; trois mois plus tard les bonnes nouvelles continuaient à nous parvenir et un an plus tard elle confirmait son changement avantageux de vie, en nous rendant une visite sympathique dans le service

Dans le troisième situation, une première séance de thérapie familiale est organisée après l’identification de troubles relationnels entre la maman et son fils aîné. Après des années à jouer le rôle d’un enfant parentifié (se mélant des courses, du ménage et des emprunts) pour protéger une mère dépressive et douloureuse, ce garçon, entrant dans la puberté en même temps que sa petite sœur commence à parler, regresse au point de devenir boulimique, de sucer les doigts de pieds de sa maman consentante et de dormir au pied du lit d’enfant de sa petite sœur.
D’emblée il est félicité pour tous les efforts déployés pour soigner sa maman et encourager à continuer tant que cela sera absolument indispensable. Le contexte est changé. Les troubles deviennent efforts de soins. L’autorisation est démandé d’apprendre, à la maman, à prendre soin d’elle par elle même… car est-il déclarer…si elle souffre depuis 14 ans …c’est que par loyauté à l’égard de sa famille…elle s’est interdit de prendre soin d’elle…en particulier dans le moment particulier du post-partum…où toute bonne mère s’autorise…un vrai…baby-blues.
Elle recevra l’apprentissage de l’auto-hypnose afin de colmater une brèche psychique interne qui, à la manière d’une chambre à air percée, lui réclame sans cesse des efforts de pompage…sans jamais réussir à se remplir.
La séance sera centrée sur la construction d’un lieu sûr, d’une self-place.
A l’issue de cette expérience, elle a pris, pour elle le temps de faire du “lêche-vitrine”, ce qu’elle ne s’était jamais autorisée à faire, sans rien acheter…a-t-elle dû ajouter. Elle a pris le temps d’organiser un week-end pour toute sa famille où son fils lui est apparu sur le bord de la piscine comme pour la première fois …beau. Lui a obéi et à fait pire, jusqu’à pouvoir être menacé d’expulsion du collège et pouvoir affirmer sa volonté de suivre une formation professionnelle en alternance..

Conclusion

La neuro-imagerie nous révèle les mécanismes de la construction de soi. Les domaines de construction de soi, découverts par Daniel Stern, nous éclairent sur la manière dont nous nous construisons. La résonance, l’intersubjectivité et l’agentivité nous amènent à comprendre la contagion émotionnelle et douloureuse. Les personnes douloureuses chroniques nous apprennent la souffrance d’une restriction des limites de soi, par l’expérience de la douleur enkystée. Ils sont, par cette souffrance, fascinés et fascinant, construisant une spirale négative et destructrice. L’hypnose médicale offre la possibilité de rompre ce cercle vicieux et d’engager cette énergie psychique considérable vers une spirale vertueuse constructive. Soyons apte à leur offrir et nous offrir ces possibilités d’auto-apprentissage et d’inter-apprentissage. Soyons apte à contre-fasciner pour rompre la fascination morbide. Nos outils modernes et puissants de traitement deviendrons plus utiles. Souvent ils ont des effets délétères quand ils sont prescrits en réponse à une contagion émotionnelles négative, quand ils sont prescrits dans une surenchère morbide, quand ils sont prescrits dans un état de fascination morbide. Apprenons à ne plus nuire par souci de trop bien faire.

Acapulco 2006
Auteur : Dr Farcy Luc, psychiatre, membre le l’Institut Milton Erickson de Bretagne-Rennes,  président de l’Institut Milton Erickson Antilles-Guyane.
Mail : luc.farcy@free.fr