Imprévisibilité, hypnose et thérapie brève
La thérapie brève commence dès la première seconde. Il s’agit de provoquer de l’imprévisibilité. L’hypnose thérapeutique par nature est une thérapie brève.
Je ne savais pas combien de personnes assisteraient à cet atelier. J’ai donc préparé de nombreuses références pour avoir plusieurs pistes à suivre, à créer ; une expérience d’hypnose collective ? Une expérience interactive où chacun pourrait s’exprimer et nous amener à découvrir des pensées nouvelles ?
Nous étions une petite vingtaine de conférenciers alors le rhum vieux est sorti, une convivialité s’est installée. Nous étions à St Malo, cité des corsaires…
Qu’est ce que l’induction hypnotique ?
L’imprévisibilité est une source de danger et donc de créativité. Le danger nous place dans ce pourquoi, depuis la nuit des temps, les ressources s’activent. Le stress, l’éveil vigile, amènent un fonctionnement défensif, induit un lâcher prise, un abandon des croyances limitatives.
Une situation imprévue induit une mobilisation des ressources critiques, une affirmation de soi, dans les tout premiers instants. Il s’agit d’une concentration défensive que le thérapeute pourra mettre de côté, en suspend, un temps, le temps de la séance, pour mieux l’exploiter, la relativiser, l’enrichir et la restituer active et créatrice en fin de séance.
S’engager dès les premiers instants est un recadrage puissant, à la manière de Paul Watzlawitch et Giorgio Nardonne, autorisons-nous, par exemple, cet aphorisme :« vous n’êtes pas là pour penser ou pour parler, vous êtes là pour vivre une expérience nouvelle et inconnue, imprévue et surprenante. La psychothérapie, c’est l’art du changement! ».
L’imprévisibilité, le danger et la nouveauté sont des moteurs pour provoquer le changement.
Le changement, l’enrichissement et l’exercice sont les trois sources de croissance neuronale (Eric Kandel, E.L Rossi).
Franck Farrely nous apprend que l’exercice de l’imprévisibilité, de l’improvisation, de la provocation dès les premières secondes nous prépare à rendre la séance unique et créative. E. Rossi nous apprend à amener le corps vers une plus grande réactivité, le cerveau à un plus grand éveil, les neurones à acquérir de la souplesse, une plus grande probabilité d’orientation de la synthèse génomique vers des voies nouvelles ou inusitées de croissance synaptique. Ils nous rappellent trois règles de sécurité fondamentales, les archétypes, la bienveillance et la préparation d’un lieu sûr.
Pierre Rainville illustre cette dissociation interne, apaisante, automatisante et stimulante qu’est l’hypnose ; »L’état hypnotique contribue à faciliter la réinterprétation des expériences perceptives dans l’hallucination et l’analgésie hypnotique. L’expérience hypnotique culmine par un sentiment d’automaticité accompagné d’une modification de l’activité cérébrale
suggérant une altération des mécanismes d’autorégulation des réponses cérébrales. Cette modification du soi-agent facilite l’accès aux réponses somatiques involontaires impliquées dans la régulation viscéro-motrice. Le sentiment normal de contrôle volontaire que nous éprouvons est apparemment associé à une limitation de l’accès à certains mécanismes modulateurs fondamentaux du système nerveux. L’hypnose en mettant en suspend ce sentiment du soi-agent augmente à la fois le potentiel expérientiel et d’autorégulation viscéromotrice ».
Induire rapidement une situation imprévue, nouvelle et maîtrisable, est une très bonne technique d’induction hypnotique. L’apprentissage sérieux et encadré des techniques d’induction est donc la première des sécurités.
Illustration : un homme de 55 ans, dépressif chronique, camisolé chimiquement depuis huit ans, est invité, dès la première seconde de notre rencontre, à entrer dans cette pièce spéciale d’hypnose longue, à vivre…sa mort en toute sécurité jusqu’à ce que son jardin secret ait des murs suffisamment hauts et hermétiques aux autres pour qu’il puisse vraiment s’y sentir chez lui en sécurité et en secret (Térésa Robbles), jusqu’à ce qu’une force en lui, son moi profond, son inconscient constructif, son ange gardien, ce qu’il veut, ce qui correspond le mieux à ses croyances, l’autorise à se redresser à se relever à retrouver la tête haute et légère, le regard fier (E. Rossi). Après deux heures de cette expérience contrôlée, je le retrouve assis parcourant son agenda, prêt à vivre des expériences nouvelles. Mais il mettra six mois à se sevrer de la camisole chimique. Le couple a été reçu et préparé à ce changement, ils ont décidé d’attendre, le temps de la thérapie, pour mettre en route la procédure de divorce. Ils resteront ensemble finalement, leur couple ayant repris vie aussi. Mais il mettra deux ans pour pouvoir parcourir deux cents kilomètres sur son vélo de route, remisé, à plat, rouillé et recouvert de toiles d’araignées. Lors de la deuxième séance, il ne trouvait même pas la force de marché 50 mètres, même pas la possibilité de tenir en équilibre sur ce vélo qu’il aimait tant avant, avant d’être malade quand il participait activement au club de cyclotourisme.
Le devoir du thérapeute est de créer un cadre et de le rendre suffisamment solide et sûr pour qu’un univers nouveau soit créé. Un univers entier, complexe et inconnu ; un espace nouveau à découvrir à explorer, à exploiter. Il n’existe rien, deux chaises vides et puis tout est là vivant. Peut-être s’agit-il d’une paire d’univers jumeaux crée et partagée, deux entités quantiques apparentées, aux règles de fonctionnement si particulières ?
Imprévisibilité et danger ? Oui, mais, à la manière d’un dérapage contrôlé, d’un galop maîtrisé, d’un vol libre et heureux. Après un apprentissage progressif des techniques qui existent pour assurer la sécurité de l’expérience ; les lieux sûrs, l’attention portée aux sensations physiques, à la respiration ; la stimulation de l’imagination, de la mémoire ; l’attention portée à ce que le corps exprime, les mouvements rapides des yeux et des paupières, des extrémités des doigts( traduction d’une activation mésencéphalique), une accélération cardiaque, une augmentation de la pulsativité carotidienne( traduction d’une activation adrénergique) ; l’attention portée à ce que la personne vit, à ce que nous pensons, nous nous rappelons, nous imaginons, nous ressentons, à ce que nous vivons ; de respecter les phases physio-neuro-viscéro-motrices (Rossi) du changement interne; d’anticiper les réactions à la provocation ; de favoriser l’acceptation des règles implicites d’un jeu où les rôles évoluent, fluctuent et changent ; de faciliter l’orientation vers l’exploration des sensations intérieures. Alors le voile du symptôme pourra se déchirer, s’ouvrir et un monde nouveau naître.
Que ce soit dans une cure orthophonique, au cours de soins de kinésithérapie, d’une anesthésie chirurgicale ou en médecine générale, l’hypnose est cet outil qui ouvre les apprentissages inusités, oubliés. Un outil utilisé par l’opérateur en complément des outils qu’il utilise. L’orthophoniste ne devient pas psychothérapeute mais une orthophoniste plus outillée ; le kinésithérapeute, un kiné plus créatif ; l’anesthésiste, un anesthésiste plus présent ; le médecin généraliste, un médecin plus inventif.
L’état d’hypnose est, par nature, une possible thérapie brève, sachons apprendre à l’exploiter en toute imprévisibilité et en toute sécurité, dès les premiers instants