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Interview de Claude Virot sur la dépression

par la revue polonaise "La vie simplement"

Dépression
Article ∙ Dépression - Hypnose - Psychiatrie

Je considère la dépression comme une phase normale de notre vie

Dr Claude Virot

Magda Rodak a interviewé Claude Virot sur la dépression et son traitement par l’hypnose.  Magda Rodak est journaliste pour la Revue « Po Prostu Zyj » (« La vie simplement »).

Entretien avec docteur Claude Virot, psychiatre et psychothérapeute français.

 

Docteur, pouvez-vous présenter à nos lecteurs votre façon de travailler avec les personnes atteintes de dépression ?

D’abord il faut savoir ce que c’est que la dépression. On utilise ce terme souvent d’une manière très large. La dépression c’est un moment particulier dans la vie où on n’arrive plus à faire face à nos réalités, à nos engagements, à nos obligations, à nos relations affectives.

Classiquement, dans notre culture, on a appris, depuis 60 ans à peu près, qu’il suffit de donner les médicaments pour que les gens se mettent à aller bien. Aujourd’hui on sait bien que ça ne marche pas si bien que cela. Ça permet de temps en temps à des gens d’aller mieux, mais souvent, ou il faut continuer à donner des médicaments pendant très longtemps, et quelquefois pendant toute la vie, ou bien dès que les gens arrêtent des médicaments, ils rechutent.

J’ai fait ça aussi pendant des années, puisque je suis psychiatre, et installé comme psychiatre libéral depuis plus de 30 ans. Les premières années, je voyais évidemment beaucoup de gens avec une dépression. Je prescrivais les médicaments pour à peu près la moitié de ces gens, et pour les autres je faisais plutôt de l’hypnose, de la thérapie brève. Je les aidais à remettre en route leur système interne. En fait, j’utilisais l’hypnose pour les dépressions les plus légères. Souvent aussi, j’ai combiné les deux. Et puis, peu à peu, je me suis rendu compte que je pouvais traiter des dépressions de plus en plus difficiles avec l’hypnose. Alors, progressivement, j’ai prescrit de moins en moins de médicaments à mes patients et je faisais de plus en plus d’hypnose et de psychothérapie avec eux.

Je me suis rendu compte aussi que quand je faisais de l’hypnose et je leur prescrivais les médicaments, il y avait toujours une difficulté majeure très vite. Quand les gens allaient bien, ils pensaient toujours que c’était grâce aux médicaments, jamais – grâce à l’hypnose. Les gens pensaient que c’était grâce à une ressource extérieure, grâce au produit qu’on mettait dans leur corps, qu’ils se mettaient à aller bien. Inversement, quand je ne donnais pas de médicaments, les gens pensaient qu’ils allaient bien grâce à l’hypnose, et surtout grâce au changement que la thérapie pouvait faire dans leur monde intérieur ou dans leur manière de se comporter. Ils se rendaient compte qu’ils pouvaient eux-mêmes, avec leurs propres ressources, modifier leur façon de s’adapter à la vie, d’évoluer, de grandir, de se transformer, de voir le monde autrement. Parce que c’est bien de cela dont il s’agit.

Dans la dépression, les gens voient le monde d’une manière très sombre, très douloureuse, très inquiétante. Et quand ils sortent de la dépression, ils découvrent un monde différent dans lequel ils arrivent de nouveau à fonctionner. Entre la phase « avant » et la phase « après » il y en a eu des changements. Le mot « changement » est très important. La dépression est une phase de la vie dans laquelle des changements vont se produire, des changements qui vont permettre de se transformer. Par exemple, quand un jeune adulte prend un travail pour la première fois de sa vie ; peut-être que ça va bien se passer, mais peut-être toutes ces adaptions qu’il va faire - quitter sa famille, changer de mode de vie – il ne va pas les réussir. La dépression va être comme un échec de son parcours de vie. La réussite, ça va être de franchir la dépression comme un cap et de développer de nouvelles capacités pour fonctionner avec des nouvelles personnes, dans un nouveau système.

 

Donc on peut dire que la dépression c’est une phase de vie dans laquelle on est susceptible de se transformer ?

Oui, on peut commencer à voir la vie comme un chemin, comme un parcours avec des moments où c’est facile, simple, et puis un parcours avec les obstacles qui viennent des phases de cycle de la vie. Chacun d’entre nous passe par différentes phases : on est enfant, on est plus grand, on change de conditions de vie, on rencontre de nouvelles personnes, il y a une première relation amoureuse, il y a le fait de quitter la famille, de faire un enfant…

Je ne sais pas si vous avez entendu parler de Milton Erickson. Une manière de définir le travail de Milton Erickson c’est de dire qu’il aidait les gens à passer ces étapes de cycle de vie.

Moi aussi, j’ai commencé à voir la vie avec des épreuves à franchir, des épreuves attendues, mais aussi des épreuves inattendues, parce qu’il y a des accidents de vie, des maladies, des ruptures – des évènements de vie qui pour certains sont faciles, mais pour d’autres tel ou tel évènement va devenir difficile comme s’il n’avait pas dans ses ressources le bagage nécessaire pour franchir cette étape.

Quand on voit les choses comme ça, on peut donner tous les médicaments qu’on veut et ça ne changera pas grande chose. Il y a de belles études publiées il y a quelques années déjà qui montrent que les médicaments anti-dépresseurs  ont la même efficacité que le placebo. C’est déjà une bonne chose mais ce n’est pas suffisant!

Pour moi, la dépression est une phase naturelle de la vie. Alors pourquoi les dépressions peuvent devenir compliquées, douloureuses, longues ? D’abord parce qu’on considère que la dépression c’est une mauvaise chose. Il m’arrive de dire à mes patients : « Vous avez de la chance, vous faites une dépression ! Vous êtes dans une phase où votre système interne est en train de chercher une solution pour franchir un cap ». Et c’est très facile de trouver ce cap. Par exemple, j’ai dans mon environnement proche actuellement une femme qui vient d’avoir un bébé, il y a trois ou quatre mois, et qui fait une dépression. Elle n’a pas encore réussi à passer ce cap où elle devient une maman qui est bien avec son bébé. Le principe c’est juste de l’aider à franchir ce cap. Et l’hypnose permet d’activer de nouvelles ressources, en s’appuyant sur son parcours de vie, sur le parcours de vie des autres femmes, sur sa conception du futur.

Pourquoi l’hypnose peut être plus efficace qu’une thérapie qui repose sur un dialogue avec entre le thérapeute et le patient ? 

Parler c’est très important. Moi aussi je parle avec mes patients. Il y a des gens qui vont commencer à aller bien parce qu’ils peuvent parler, parce qu’ils sont écoutés et parce qu’on les aide à parler des choses dont ils n’ont jamais parlé auparavant. Mais ce n’est pas suffisant pour les gens qui vont très mal ou qui vont mal depuis longtemps.

Pourquoi l’hypnose va fonctionner ? D’abord ma réponse sera qu’on n’en sait rien… On ne sait pas très bien comment marche le cerveau, on ne sait pas comment marche la conscience, on ne sait pas comment on fait pour se maintenir en vie et pour évoluer, se transformer.  Mais de manière empirique, on constate que l’hypnose permet de réactiver les processus internes, comme si on mettait de l’huile dans le moteur qui était coincé. Il redevient plus souple, plus actif. Peut-être aussi que l’hypnose, l’état de transe,  permet de fabriquer de nouveaux neurones et de nouvelles connexions synaptiques.

Je ne sais pas si vous avez entendu parler d’une nouvelle discipline scientifique, la science du chaos, et de l’effet papillon. L’effet papillon c’est une métaphore qui dit qu’il suffit qu’un papillon batte de ses ailes dans la Baie de San Francisco pour peut-être déclencher un ouragan à Honolulu. La théorie du chaos c’est la science du désordre qui survient dans les systèmes. La théorie du désordre dit qu’un système, soit un ensemble d’éléments qui fonctionnent plutôt bien, dans certaines circonstances peut commencer à passer au désordre. La théorie du chaos c’est une des bases importantes de mon travail.

De quelle façon vous vous inspirez de cette théorie ?

Je me suis rendu compte que j’avais beaucoup de patients qui étaient en train de vivre des phases désordonnées de leur vie. Et ces phases désordonnées, on appelle ça une dépression dont notre culture, parce que les symptômes sont à peu près similaires, sauf qu’il y a une grande agitation et une perturbation désordonnée avec des symptômes imprévisibles d’un moment à l’autre et imprévisibles dans leur intensité pour une même personne.

Ceci m’a permis de décrire deux types de dépressions : des dépressions figées et des dépressions chaotiques. Les dépressions figées  - chroniques - ont tendance à durer ; elles peuvent durer toute la vie.   Les dépressions chaotiques sont beaucoup plus angoissantes, pénibles, parce qu’elles sont souvent soudaines, imprévisibles, incompréhensibles. Les gens ne comprennent pas pourquoi ça leur arrive, ils sont dans le chaos. Mais dans le chaos il y a quelque chose de très actif, dynamique, vivant.

Les phases chaotiques, très agitées, sont très positives en fait, parce que le système interne est à ce moment-là très actif, et l’hypnose - beaucoup plus facile. Elle sert à calmer et à ralentir le processus, pour qu’une sorte de l’ordre, de la cohérence, revienne dans le système. Ça rassure les gens et ça permet de franchir le cap, souvent très vite. Ces gens qui font une dépression chaotique, je les vois souvent juste 4 ou 5 fois. Dès que ce cap est franchi, le processus de changement devient autonome et les patients peuvent s’engager dans cette nouvelle phase de leur vie.

Si je comprends bien, pendant une séance de l’hypnose vous continuez à parler au patient qui - contrairement à ce qu’on pense souvent – reste très, très vigilant.

Beaucoup de gens pensent qu’en l’hypnose le patient est dans une sorte de sommeil. C’est le contraire ! L’hypnose est un état de hyper-réveil. Il y a deux dimensions de la conscience. L’une est connectée à la réalité immédiate; dans l’hypnose, elle est réduite. Une autre dimension de la conscience élabore des stratégies, imagine le futur, est intégrée aux transformations corporelles. Cette dimension est hyperactivée dans la transe hypnotique, elle est en quelque sorte libérée momentanément du poids du réel.  Ceci crée une hyperactivité interne orientée vers par la recherche d’un nouvel équilibre cohérent avec la complexité de la vie de cette personne. Dans cet état de l’hyper-réveil, il y a toujours une partie du patient qui est connecté au thérapeute et qui vérifie en quelque sorte si le thérapeute dit des choses qui sont cohérentes, satisfaisantes avec ses valeurs, ses attentes, son éthique, sa représentation du monde. On ne peut pas dire n’importe quoi, loin de là ! Dès que le patient repère quelque chose qui n’est pas en phase avec ses attentes et ses besoins, alors tac ! – et il sort de l’hypnose !

C’est très difficile de faire de l’hypnose parce qu’il faut justement ne dire que des choses qui sont justes ! Alors une manière de dire des choses justes c’est de raconter des histoires. C’est l’hypnose métaphorique. On va raconter un conte, on va fabriquer une histoire pour le patient, on va élaborer une métaphore plus ou moins complexe dans laquelle il y a des images de son problème et une image de la solution. Mais on ne dit jamais à un patient, dans cette forme d’hypnose, comment il doit se transformer ou comment il doit changer. Le modèle de changement qui se met en place émerge des processus complexes activés. C’est une des méthodes, il y en a pleins d’autres.

Est-ce que vous pourrez nous dire encore quelques mots sur le travail de deuil dont vous allez parler lors de la conférence à Lodz ? En Pologne, la Toussaint, c’est un moment très important, très beau.

Les traditions de deuil sont très importantes pour favoriser justement le travail de deuil. Le deuil c’est un travail de remaniement interne. Mais avec mes patients, je ne parle pas tellement du deuil, je parle de leurs morts. Je parle des relations que les vivants peuvent avoir avec leurs morts.

Parfois, le mort est trop présent, envahissant, il y a une relation excessive. Par exemple une ancienne patiente est revenue me voir parce qu’elle a perdu son mari il y a deux ans. Elle m’a dit : « Depuis que mon mari est mort, moi, je ne vis plus. Je pense à lui tout le temps. J’ai l’impression que je ne m’occupe pas bien de lui.». A la maison, elle a fait un autel pour lui. Elle ne veut plus sortir de la maison. Elle a arrêté sa vie. Ça s’appuie aussi, comme souvent, sur la culpabilité. Elle trouve qu’elle ne s’est pas bien occupée de lui quand il a été malade, surtout les derniers jours.

Je n’ai pas fait d‘hypnose avec elle. Je lui ai demandé de venir avec les photos et avec les objets de son mari. Elle a amené une chaine avec une médaille qu’il portait tout le temps. J’ai dit à la dame de mettre cette chaine et cette médaille à son poignet. À partir de là, elle a retrouvé la paix avec son mari. Elle a recommencé à sortir, à voir des gens. Et son mari a retrouvé une place juste dans sa vie et dans son monde intérieur.

Ça, c’était un mort envahissant. Et il y a une deuxième catégorie de problèmes avec les deuils : quand les morts sont complètement absents. Quelqu’un est mort et on n’en parle plus, il n’y a pas de photos, personne ne va au cimetière… Comme s’il avait disparu. Mon travail à ce moment-là c’est d’aider les gens à recréer des relations avec leur mort. Parce qu’on a besoin d’être en lien avec nos morts. On a besoin d’avoir des relations avec les vivants, mais nos morts occupent aussi une place importante dans notre vie. On a des souvenirs, on a des objets, on parle d’eux, on a des promesses qu’on s’est fait, on va au cimetière… Donc, d’une certaine manière, ils « existent » toujours dans notre vie. Il y a les personnes pour qui leurs morts n’existent plus, et ce n’est pas bien non plus. Donc c’est une idée générale qui conduit mon travail par rapport au deuil.

C’est très beau, très humain.

Oui, j’aime beaucoup ce travail. Quelquefois, c’est très simple, quelquefois c’est plus compliqué. Le plus compliqué c’est quand ce sont les parents qui perdent un enfant. Parfois mon travail consiste à aider les parents à laisser partir cet enfant dans l’au-delà tel qu’ils l’imaginent. Il faut faire un travail de séparation, parfois difficile et douloureux, mais c’est à faire.

Comment vous avez appris ces techniques? D’où par exemple vous avez eu l’idée de ce rituel qui a aidé la dame qui a perdu son mari ?

Dans beaucoup de cultures traditionnelles on retrouve des techniques qui aident à réguler une relation entre un vivant et son mort. C’est aussi l’expérience de la culture traditionnelle en France et en Bretagne. On a oublié beaucoup de choses que nos ancêtres savaient faire pour que les deuils se passent bien. Il faut bien accomplir tous les rituels autour de la mort. Faire les gestes qu’il faut, prononcer les paroles qu’il faut… Être actif dans ce processus de deuil et aller jusqu’à son terme.

Passer son Cap Horn

Imaginez un navire qui est en mer et qui va passer un cap important, le Cap Horn ou le cap de Bonne Espérance. Les caps sont très dangereux parce qu’il y a deux systèmes maritimes qui se percutent. Ça génère de grosses vagues, des courants, des vents… Et pourtant, quelquefois, les caps se franchissent facilement. Il suffit de lire sur internet des histoires de marins qui racontent que le Cap Horn c’est parfois facile. C’est un peu comme les étapes de vie qu’on s’apprête à franchir.

Pour un tel ça va être facile, pour un autre ça va être compliqué ou chaotique. Et si on ne franchit pas, il se passe quoi ? Eh bien je m’installe là, au pied de l’Amérique du Sud et je ne bouge plus, je n’avance plus dans ma vie, je reste là. Et ça va durer : des semaines, des mois, des années, tant que je n’ose plus m’engager pour franchir ce cap-là. Il faut passer son Cap Horn. Celui-là et d’autres. Plusieurs fois dans la vie.