Hypnose médicale au quotidien
L’hypnose médicale et son intérêt en pratique quotidienne
Dans les années 80, deux voies sont ouvertes pour les soins des troubles psychologiques, deux voies radicalement opposées et largement incompatibles : la psychanalyse et les psychotropes. Ces deux voies offrent aux patients des perspectives d’évolution mais avec des limites importantes. Soit ce sont des traitements longs, complexes et incertains. Soit des traitements faciles à mettre en oeuvre dans un cabinet médical mais avec des résultats insuffisants dus tant à la mauvaise observance des patients inquiets de perdre leur autonomie mentale que par l’allongement des traitements rendus nécessaires par les fréquentes rechutes.
Dans ce contexte, le développement de l’hypnose dans la plupart des pays d’Europe non- francophone et surtout aux Etats Unis attire l’attention des psychiatres français en attente des techniques plus légères que la psychanalyse et plus “naturelle” que la chimie. C’est ainsi que l’hypnose dans sa version “Ericksonienne” fait son retour après une longue absence, accompagnée du concept de thérapie brève particulièrement efficace pour les troubles chroniques. Elle amène un nouveau regard sur le rôle des soignants et la place du patient dans le dispositif de soins.
Rappelons d’abord que depuis les années 60 il est établi que l’hypnose est une forme de conscience éveillée, rien à voir avec le sommeil, ni de près ni de loin, à part son nom inventé en 1840 en référence au dieu grec du sommeil. Lorsque nous sommes éveillés, nous pouvons fonctionner selon deux modes : la conscience critique et la transe.
La conscience critique est cet état de fonctionnement ordinaire dans lequel notre attention est très mobile et s’oriente très rapidement vers le monde extérieur par nos perceptions ou vers notre monde intérieur par nos émotions, nos sensations, nos idées. Ce mode nous permet d’observer l’ensemble des informations disponibles à un moment donné de manière à les intégrer et à nous y adapter. J’écoute, je réponds en fonction de mes connaissances antérieures, de mes valeurs. Je repère un danger sur la route, j’adapte ma conduite immédiatement. J’écoute un patient, je l’examine, je l’observe, je lis les documents, je fais référence à mes apprentissages professionnels, à mon expérience avec ce patient, à mes récentes formations… je suis en conscience critique. Je peux alors, établir un diagnostic, une stratégie d’examens, un plan de traitement.
Notre esprit passe en “transe” lorsque notre attention se focalise de manière de plus en plus précise et de plus en plus intense sur une partie seulement de la réalité présente. Nous parlons souvent de concentration et effectivement, nous concentrons notre attention pour qu’elle devienne plus précise, nous la concentrons encore pour qu’elle devienne encore plus précise, un peu comme un laser. C’est lorsque je lis et que je veux mémoriser, lorsque je visite une exposition et qu’un tableau “m’arrête”, lorsque j’écoute une musique . Dans ces moments, nous oublions tout le reste, le bruit autour au musée, les enfants qui jouent à la maison, le temps qui passe. La transe spontanée génère en même temps concentration et mémorisation intense sur une partie de la réalité, distraction et relative amnésie sur le reste de la réalité. C’est un mode de fonctionnement banal, “naturaliste” selon l’expression de Milton Erickson, qui alterne avec cet autre mode que nous avons appelé la conscience critique. Je connais bien ce patient mais aujourd’hui, quelque chose me trouble. Je n’écoute plus ses anecdotes habituelles, je mets de coté ses affaires
L’hypnose médicale et son intérêt en pratique quotidienne Dr Claude VIROT
Mars 2008
Amoureuses compliquées dont il a le secret. Mon attention se focalise sur une respiration inhabituelle que je regarde, que j’écoute. Sa voix aussi est un peu différente. Mon interrogatoire devient beaucoup plus précis et focalisé… Je suis maintenant totalement concentré, en transe spontanée.
Si cette transe naturelle et spontanée est confortable au spectacle, performante dans mon travail, elle peut aussi être pénible lorsque j’ai une idée fixe, un souci dont je ne peux me défaire, un douleur qui envahit ma pensée, une tristesse qui focalise et fixe mon attention en permanence. Des états dans lesquels il me devient difficile de réfléchir, prendre de la distance, raisonner, autrement dit activer le mode mental de la conscience critique.
L’appellation hypnose s’applique à la transe lorsqu’elle est volontairement provoquée, induite dans un cadre thérapeutique. Lorsqu’un opérateur aide un sujet à focaliser et fixer son attention dans un sens utile pour lui. Soit parce que ce sujet est focalisé sur une expérience qui génère de la souffrance, soit à contrario, parce que ce sujet n’arrive plus du tout à fixer son attention, qu’il présente une agitation mentale dans une phase aiguë. La transe thérapeutique va permettre soit d’aider le patient à prendre du recul, se “décoller” de ce qui fixe son attention, soit de lui permettre de se focaliser sur une expérience agréable ou des ressources pour trouver une solution à sa difficulté, soit encore pour poser ses idées, se calmer, se concentrer de nouveau. Bien évidemment tous les médecins utilisent plus ou moins des techniques verbales et relationnelles qui vont dans ces sens là. La compétence en hypnose est seulement de le faire plus précisément, plus simplement et surtout de lier des techniques afin de mettre à la disposition du patient un outil thérapeutique efficace et sécurisant.
Prenons 3 exemples. Un enfant a besoin de quelques points de suture. Il est agité, il a peur, il a mal. Il bouge, il pleure, se contracte. Toute son attention va se concentrer sur la plaie et plus encore sur la toute petite zone où va s’enfoncer l’aiguille. Et la douleur ressentie va être à la hauteur de cette concentration d’attention : extrême. L’hypnose va permettre de créer un climat sécurisant, de réduire son agitation puis de l’aider à focaliser sur des idées plus agréable pour lui (le foot, la game boy…). Un peu plus de technique et le praticien va générer une analgésie relative de la zone à suturer. Bénéfices secondaires : la confiance de cet enfant dans ses propres ressources et envers l’adulte augmente.
Depuis quelques semaines, ce patient est effondré, pleure, dort peu, sa vie n’a plus de sens, il ressent des angoisses violentes, ne peux plus se concentrer, s’intéresser à ses activités, ses loisirs… A t-il perdu son travail, sa compagne ? A t’il un conflit conjugal, un parent malade, la première séparation du foyer familial ? Un tableau de dépression aiguë chez un patient qui allait bien jusqu’alors. Parler du problème est déjà s’en distancier un tout petit peu. Un praticien qui connaît les phénomènes de transe et les techniques hypnotiques saura l’aider un peu plus dès cette première rencontre, à retrouver en lui des zones de sécurité, à réduire son angoisse. Ce praticien saura aussi rester calme, parler tranquillement, respirer régulièrement et faire confiance aux ressources présentes en chacun pour se donner le temps de mieux observer cette situation et son évolution. Pour se donner le temps de revoir ce patient dans 24 heures, dans deux jours, pour avoir tous les éléments en main avant de décider avec ce patient d’une stratégie dont l’impact pour sa vie sera majeur. Cette première rencontre aura peut-être déjà permis une réduction de l’agitation, des idées de catastrophe, de retrouver des idées qui s’organisent. L’hypnose aide ce patient à se sécuriser, se calmer et contacter de nouveau dans sa mémoire des expériences positives, des souvenirs agréables, des relations stables. Un cap est en train d’être franchi par le patient avec l’aide et le soutien du praticien. Tout ceci bien sûr en fonction de l’expérience du médecin garant de la sécurité immédiate du patient, toujours préoccupé aussi de donner à ce patient les meilleures chances de développement et de maturation. Un médecin qui soigne dans le présent en pensant au futur du patient.
Ca fait maintenant plusieurs années que cette douleur dans le dos, dans l’épaule, dans le ventre a transformé la vie de ce patient. Il ne travaille plus, la vie familiale est figée, toute son énergie est mobilisée pour les consultations, les examens, les séances de soin. Tout échoue à le soulager. Quant à imaginer une guérison? Tout le monde a renoncé. Il se dit que la population de ces patients est en augmentation. Douleur chronique, dépression chronique. Une transe spontanée douloureuse au long cours. Une focalisation et une fixation de la conscience sur la douleur, le malheur, la peur. Ce sont des situations particulièrement difficiles pour les patients évidemment mais aussi pour les praticiens impuissants à soulager, contraints d’entendre encore et encore une plainte sans fin. L’hypnose va ici permettre au patient de débloquer sa pensée, de commencer à retrouver du mouvement dans ses idées, ses sensations, sa mémoire. Et très progressivement de retrouver du mouvement dans son quotidien, ses relations, ses centres d’intérêt. L’hypnose permettra de l’accompagner pour passer de nombreux paliers difficiles, un peu comme lors de la rééducation de la marche après un AVC. L’hypnose soulagera peu à peu la douleur, la peur, orientera l’énergie disponible vers les changements utiles. Ce sera un travail complexe et technique. D’autant plus que le problème est ancien. Aurait-il été évité en prenant le problème de cette manière dès le début, lors de la phase aiguë?
Aujourd’hui tout professionnel de santé peut acquérir ces outils, ces compétences qui développent la connaissance des troubles psychiques, l’impact thérapeutique de chaque consultation, la créativité du soignant. En un mot stimule l’art médical.
Les formations sont réservées aux professionnels de santé. Le premier label de formation vient d’être crée par la Confédération Francophone d’Hypnose et de Thérapie Brève qui regroupe 20 instituts (cfhtb.org). L’objectif est de proposer des formations toujours plus structurées, plus performantes, mieux évaluées.
Chaque année de plus en plus de professionnels de santé se réunissent en congrès pour exposer les avancées et confronter les techniques, les résultats. Le dernier congrès de la Confédération a réuni 600 participants. Dans quelques semaines, à Quiberon, le 3 ème Congrès International d’Hypnose appliqué à la douleur aiguë (anesthésie, chirurgie, dentaire, maternité…) va réunir plus de 400 praticiens. Ces grandes manifestations (financées à 100 % par les inscriptions) témoignent de l’essor de cette discipline qui vient remplir un vide dans les dispositifs de soins tant du coté des besoins des patients que des attentes des soignants.